Le pivot pour un monde meilleur, enseignements de Pourim

L’histoire d’Esther. Menace d’extermination sur l’ensemble du peuple juif. Cinq chapitres de plongée progressive dans l’horreur précédant cinq chapitres de solution du problème. Quel est le pivot de ce retournement de situation ?

Chaque jour, nous subissons des nouvelles du monde entier, de terribles nouvelles. Existe-t-il également, dans la vraie vie, l’actualité mondiale, et notre actualité personnelle, un pivot qui puisse changer du tout au tout le cours des événements ?

Face aux agressions répétées, la réaction physique habituelle est un abaissement du seuil de stimulation. Autrement dit, nous devenons insensibles, cela porte atteinte à notre capacité d’analyse et de compréhension. La réaction physique exceptionnelle est celle de l’allergie, nous réagissons avec une grande intensité, qui porte atteinte à notre capacité à réagir.

Quelle réponse apporter aux problèmes du monde ? La première réponse consiste à nous garder en état d’agir, forts et conscients. Seul Edmond Fleg, luttant au cœur de la Choa pour soutenir de jeunes juifs résistants souvent ignorants de leur identité pouvait l’énoncer aussi justement:
« Vos devoirs immédiats, vous les connaissez, vous les pratiquez : aider ceux qui peuvent être aidés ; sauver ceux qui peuvent être sauvés ; se conserver dans une joie saine et prête à tous les sacrifices. » (Le chant nouveau, éditions des EEIF, 1945)
Les six jours de la semaine symbolisent le travail d’action dans le monde, la résistance en temps de guerre, le tikoun olam en temps de paix. Le chabbat, les fêtes et la fête de Pourim qui approche, l’étude, symbolisent le travail de construction de soi, pour nous garder en état de comprendre et d’agir. C’est ce qu’exprime la phrase suivante du texte d’Edmond Fleg :
« Mais, si héroïque qu’il soit dans sa modestie, cet effort quotidien ne peut vous suffire. Il a besoin d’être maintenu par une conviction, par une pensée. »

Agir bien, et se garder en état de bien agir. La quête de sens participe pleinement à la lutte. La joie, la dérision, le rire de soi-même, le festin commun (michté de pourim), partager sa joie avec ses amis (michloaH manot) et les nécessiteux (matanot laévionim), se plonger dans des textes de sagesse ancienne (mikra méguila), tous les commandements de Pourim s’inscrivent dans cette logique.

Le comportement de chacun chez lui a des conséquences qui dépassent les murs de sa maison. Les masseHtot ktanot nous enseignent : MémouHan le méchant prétend (Ester 1 :23) que le refus de la reine Vachti aura un impact sur tout l’empire, il dit textuellement « que chaque homme soit un roi dans sa maison ». Rabbi Chimon ben Gamliel enseigne, s’appuyant sur cette parole :
« Celui qui instaure la paix dans sa maison, l’écriture l’élève comme s’il avait apporté la paix dans l’ensemble du peuple d’Israël, sur chaque individu » (avot dérabi natan chap. 28)

Le plus insignifiant de nos actes revêtirait alors une importance centrale. Au cœur de la méguila d’Esther, le chapitre 6. Le roi Assuérus réalise en lisant le livre des chroniques du royaume qu’il a failli mourir suite à un complot. Qui l’a sauvé ? Mardochée le juif. Ce même Mardochée pour lequel Aman a fait élever une potence. A partir de ce moment, la compréhension du roi Assuérus va progressivement s’éclairer, et toute l’histoire va basculer.
La sagesse des pères l’enseigne (pirké avot 6 :6) : « celui qui cite une chose au nom de celui qui l’a énoncée sauve le monde, comme il est dit : « Esther rapporta au nom de Mardochée ». Si Esther n’avait pas cité le nom de Mardochée, le roi n’aurait pas pu comprendre l’injustice qu’il était en train de commettre.

Minuscule acte d’honnêteté sauvant le monde : citer ses sources. Le texte des Pirké Avot mentionne également d’autres qualités personnelles, qui peuvent être décisives si nous les développons. (Voir le texte)

Il faut agir. Agir, bien agir, pour se construire soi-même et pour aider nos proches et moins proches. Agir, et se féliciter régulièrement de nos victoires sur nous-mêmes, de nos évolutions. Voilà notre bouclier contre résignation, sentiment d’impuissance, et « allergisation » invalidante.
Agir ? C’est accomplir des commandements qui modifient peu à peu la face du monde. Puiser force et encouragement dans nos actes ? C’est énoncer les bénédictions qui accompagnent ces actes, associer le « nom de dieu » à nos efforts. De fait, bien que toujours minoritaire et marginal, notre peuple a changé la face du monde au cours des précédents millénaires.

Tel est, nous le croyons, le pivot qui peut faire des pires expériences le début de temps nouveaux, au niveau individuel, familial, communautaire et universel.

par Rinea Posté dans Fêtes

De quoi voudrez-vous vous souvenir? (Chabbat ZaHor)

Comment fonctionne notre mémoire ? Quelle est notre pouvoir sur les souvenirs qui vivent en nous ?

Notre paracha nous enjoint : « ZaHor », souviens-toi.

Lorsque j’entends ZaHor, je vois des lettres noires, tout l’univers de la destruction de la Choa entre dans ma conscience. Le premier site que vous trouverez sur internet en googelant « zachor » est bien un site de mémoire de la Choa. C’est que le traumatisme nous habite, l’obsession de donner aux disparus un « yad vachem », une main et un nom, c’est-à-dire une action concrète au présent et un enseignement vivant.

Pourtant, le ZaHor qui donne le nom de notre chabbat renvoie à une idée différente : « Souviens-toi de ce que t’a fait Amalec, souviens-toi d’effacer son souvenir ».
Il s’agit de nous souvenir des risques que la vie nous fait courir, de nous souvenir des comportements intolérables que nous ne pouvons accepter. Amalec et son nom sont le symbole de la destruction haineuse.

Mais lorsqu’on recherche le mot dans la Torah, on y voit tout autre chose.
Il faut nous souvenir de l’alliance universelle lorsque nous voyons l’arc-en-ciel, de l’alliance juive, exprimée par la brit mila, nous voulons nous souvenir de la libération grandiose et unique de l’Egypte, de la libération quotidienne et rythmique du chabbat, de notre extraordinaire voyage de l’esclavage à la liberté, des moments de triomphe qui nous permettent de conjurer la peur, des conséquences dans notre corps du mal que nous disons des autres, de la sagesse des anciens.
Comme le dit l’Ecclésiaste, il y a un temps pour tout.

Pourim est le temps de la mémoire du triomphe exaltant des juifs, triomphe poussé à la parodie, triomphe grandiloquent et mégalomane qui nous remonte le moral face à nos difficultés, triomphe teinté d’auto-dérision car nous essayons d’être un peuple sérieux, qui utilise l’humour, qui profite de la vie, qui travaille à cultiver sa fierté sans en devenir l’esclave, qui travaille à relever la tête surtout pour voir les autres en face, et grandir en humanité.

Chabbat Chalom à tous…