Vayikra live… Chercher sans cesse le chemin de droiture

Je vous propose une version écrite de notre commentaire de ce vendredi soir…

Vayikra. « Et il appela ».

L’hébreu a cette particularité d’insister infiniment sur la valeur de l’étude. Mais cette étude du « peuple du livre » est centrée autour d’une lecture d’un genre bien particulier. Lire en hébreu, en effet, se dit exactement comme appeler, de la racine  ק ר א   , la même exactement que dans le mot Vayikra. Une lecture qui ne serait pas un appel ne serait pas une étude au sens juif. L’étude est là pour nous appeler, pour nous interpeller.

Quel message puissant dans ce petit mot… Le thème récurent du livre de Vayikra est celui du service des prêtres au temple. Est-il pour autant central? Vayikra, dans son chapitre 19, est le livre de la morale juive, le livre de « tu aimeras ton prochain comme toi-même » et de nombreuses et belles autres lois de ce type. La phrase exacte est pourtant:  » Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même: je suis l’Éternel. » (Lev. 19:18) L’amour abstrait, les grands mots, sont faciles à prononcer, mais bien plus durs à mettre en œuvre. Ce livre vient nous enseigner que les lois morales sont intrinsèquement liées à nos pratiques de vie.

Vayikra exige de nous que nous définissions ce qui nous appelle, ce qui nous interpelle, ce qui nous met en mouvement, ce qui fait le cœur de notre responsabilité, ce que nous voulons protéger et construire.

Cette semaine, on a présenté dans la presse l’inauguration d’une synagogue de la vielle ville de Jérusalem comme une façon de mettre en péril la grande mosquée située sur le mont du temple. Il s’agit en réalité d’une ancienne synagogue du 17iem siècle, détruite par les jordaniens. Il s’agit donc en réalité de la réparation d’une atteinte contre le patrimoine culturel et religieux juif, et non d’une mise en péril d’un lieu de culte musulman. Pourtant, une présentation erronée des faits a donné lieu à des violences désespérantes.

Accuser celui qui construit ou qui répare de vouloir détruire constitue une stratégie pernicieuse. Par son existence même, l’autre est une menace, ce qui justifierait de le détruire. C’est l’arme des faibles, pour qui l’existence d’autrui est une menace, ou celle des dictateurs, qui ne peuvent supporter la contradiction.

Notre tradition nous invite à une force et une confiance, dont Hillel reste emblématique. C’est la force de la confiance, celle qui me permet d’exister pacifiquement avec mon prochain. Ainsi que nous venons de le chanter si magnifiquement dans « léHa dodi », כי בא אורך קומי אורי   , « car ta lumière vient, ma lumière monte ». C’est ce qu’en langage moderne on appelle le « win/win ».

Pour avancer, il faut regarder vers l’avenir, développer la vision de notre projet, sans craindre les autres projets, et en souhaitant la réussite de tous. Le partenariat exige de nous de travailler ensemble sur le tronc commun qui nous unit, et de travailler parallèlement pour ce qui nous sépare.

C’est le respect du pluralisme, le droit de chacun à exister en tant que lui-même.

Nous citions ce magnifique midrach qui donne les détails du déroulement de l’ouverture de la mer, lorsqu’elle dut s’ouvrir pour laisser passer les hébreux, en fuite et assaillis de toute part. La mer ne s’est pas simplement ouverte, non, d’ailleurs il aurait été beaucoup trop dur pour les hébreux de descendre jusque dans le lit de la mer et d’en remonter. Pour ce midrach, en réalité, 12 couloirs se sont ouverts dans la mer, un par tribut, chaque tribut ayant son chemin propre. 12 couloirs transparents cependant, de telle sorte que, tout en traversant dans des chemins différents, ils puissent voir leurs frères et progresser au même rythme qu’eux.

Ce chemin du pluralisme, les sages l’encouragent, à toutes les époques.

Rabban YoHanan Ben Zakaï est ce sage du premier siècle, témoin de la destruction du temple, de l’écroulement de ce qui faisait l’essence et l’unité du peuple juif. Il n’a pas désespéré. Il n’a pas exigé l’impossible. Il a décidé de créer un autre possible pour la continuité du peuple juif. Il n’a pas pu demander à Vespasien de sauver Jérusalem, mais il a demandé la liberté de poursuivre son enseignement à Yavné. De là, le judaïsme a pu renaitre jusqu’à aujourd’hui.

On enseigne dans le deuxième chapitre des pirké avot que Rabban YoHanan Ben Zakaï avait5 élèves… et qu’il chantait leurs louanges… chacun avait sa personnalité et était respecté pour ce qu’il était. Ces cinq élèves sont-ils les précurseurs des quatre enfants de la hagada de PessaH ? Leur maître les interrogeait :

« Sortez et voyez quel est le bon chemin auquel l’homme doit attacher ses pas »

צאו וראו איזוהי דרך ישרה שידבק בה האדם

La posture que ce maître propose à ses étudiants est celle du sociologue : « sortez et voyez », tséou ouréou.

Cette formule sera reprise au tout début du 17iem siècle pour nommer le tséna ourééna, premier ouvrage rédigé en Yiddish, s’adressant aux femmes désireuses d’étudier et dont le titre est la formulation féminine du tséou ouréou.

Il faut commencer par observer. Se poser les bonnes questions. La question centrale du judaïsme est celle-ci : Quel est notre idéal de conduite ? Quelle est la qualité, qui, à nos yeux, à le plus de valeur ? Tel est l’inventaire que dressent les élèves de Rabban YoHanan Ben Zakaï. Nous sommes sans cesse invités à nous re-poser la question.

Et comme la question est essentielle, prenons le temps d’y réfléchir avant de chercher une réponse toute faite, cherchons notre réponse personnels, et restons prêts à la remettre en cause.

Ainsi, nous serons toujours appelés par nos valeurs, interpellés, prêts à construire un chemin nouveau, alliant la nouveauté et la continuité, à porter un judaïsme pertinent aux générations à venir…

Chabbat Chalom/ Chavoua Tov

Le temps du renouveau (Paracha Vayikra)

vertaling in het Nederlands

Ce chabbat, c’est le début d’un temps nouveau, l’ouverture d’une nouvelle page, le commencement d’un nouveau livre.

Un nouveau temps commence; aujourd’hui, nous étions roch Hodech.

Roch: la tête, car notre tradition nous invite à agir avec intelligence, à être encore et toujours des visionnaires, qui utilisent les yeux de l’esprit pour voir, au loin, les chemins possibles et les chemins souhaitables, et pour choisir avec courage et discernement.

Hodech: le mois, mais aussi le renouveau (Hidouch), car le mois juif est fondé sur la lune, sur ses phases, sur l’observation de ses temps de plénitude et de ses moments de discrétion, ses temps de lumière et ses moments de courage. Il arrive que nous rayonnions. A d’autres moments nous devons nous régénérer. Le peuple juif, comme la lune, a ses phases, et chacun d’entre nous a également les siennes. Notre tradition nous enseigne à les accepter pour en tirer le meilleur profit.

Le plus grand, peut-être, de ces profits, est la capacité de se renouveler, de renaître, fidèles au passé, mais porteurs de l’avenir. Aujourd’hui, nous rentrons dans un nouveau mois, un nouveau cycle, une redéfinition du passé qui nous porte et de l’avenir qui nous attend.

Une nouvelle page s’ouvre; ce nouveau mois qui commence est celui de nissan.

Nissan est pour nous « le commencement des mois », puisque le décompte du temps juif commence avec la liberté. Le début du mois de nissan est celui de la préparation active de la libération. La liberté n’est pas un acquis, elle est un travail permanent qui demande des efforts, de la réflexion et des choix. Comme le disait un célèbre palmipède français : « la liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas« . Le grand nettoyage de printemps qu’exige la liberté n’est pas seulement matériel, mais intellectuel et émotionnel.

Un nouveau livre commence; nous rentrons dans les lectures chabbatiques de Vayikra.

Le nom de ce troisième livre de la Torah est riche de sens. Vayikra, Koré, signifie aussi bien « lire » que « appeler ». Pour l’hébreu, la lecture, l’étude, doivent être un appel. Tous ce livre de loi, parfois arride, est destiné à produire un appel. Nous devons savoir ce qui nous « appelle », ce qui nous « interpelle », ce qui nous met en mouvement tant dans notre être que dans nos actes.

Ce premier mot nous enseigne également que l’appel que nous ressentons ne peut pas être parfait. Son aleph, première des lettres de l’alphabet que ce mot porte en dernière position ici est minuscule. Il existe à peine, et son absence totale évoquerait le froid et la froideur: vayikar, et il fit froid (TanHouma B 2:4-5). Moïse, comme tout leader communautaire, et en fin de compte comme nous tous, se trouve parfois assailli par un froid piquant lié à son sentiment d’échec.

Le Tséna ourééna au contraire, explicite l’immense dignité liée à l’emploi explicite l’importance de ce aleph. Moïse l’aurait rapetissée par modestie, tellement la racine Karah, lorsqu’on l’écrit avec la lettre aleph, est signe de force. En effet, terminée par un , karah évoque un évènement fortuit, une réalité engendrée par l’action du hasard. Terminée par un aleph, la racine karah fait référence à un appel ou à une lecture, à une liberté à l’oeuvre.

C’est cette même liberté active qui est évoquée dans le modèle exemplaire des anges, qui « s’appellent mutuellement », « vékara zé et zé« . L’appel de Vayikra est l’appel le plus sacré, un appel réciproque, dans le respect de la liberté d’autrui.

Nos sages ne disent pas autre chose lorsqu’ils enseignent: dans le kidouch qui marque l’entrée du chabbat, ne lis pas « vayeHoulou » mais « vayéHalou« , pas « furent terminés » mais « ils terminèrent ». Qui termina l’ouvre de la création? Non pas « Dieu », mais l’association entre le créateur et la créature, devenue héritière, six jours par semaine, du pouvoir et du devoir de création.

Que ce pouvoir de création, cette capacité de Hidouch, nous accompagne dans le commencement de ce nouveau temps, dans l’ouverture de cette nouvelle page, dans l’inauguration de ce nouveau livre.

Chabbat Chalom.