Relation triangulaire, attention danger Ki Tétsé 5771

Cela se produit sans cesse. Un élément tiers s’insinue dans nos relations avec autrui sans autorisation, parfois sans même se déclarer.

Les cas sont nombreux, à tous les niveaux. Il peut s’agir d’un rendez-vous gâché par l’immixtion d’un tiers, d’un contrat saboté par la médisance d’un tiers , d’une relation amoureuse mise en danger par les fantômes des ex, d’une relation filiale fragilisée par la dure gestion de l’arrivée d’un autre bébé ou d’un autre partenaire, de négociations entre états infiltrées par la haine ou la crainte ou la manipulation, de négociations  au sein d’un même état faussées par un discours populiste, ou de relations entre des états et leurs citoyens piratés par des intérêts financiers.

Dans toutes ces situations, la pire des configurations est certainement celle du non-dit. Vous ne savez pas, qu’en vous regardant votre interlocuteur invite intérieurement toutes ces choses qui n’ont rien à voir. C’est pour cela que l’adultère est nommé « tromperie ». Il est rare que la troisième personne soit mentionnée au conjoint. C’est plus confortable, mais totalement malhonnête. La personne piégée s’évertue alors à résoudre de faux problèmes, puisqu’on lui cache la question centrale, qu’elle soit tromperie ou conflit d’intérêt.

Notre paracha nous recommande d’éviter ce type de triangulation. Les relations à deux doivent rester claires et d’une nature comparable. On ne peut pas atteler ensemble un bœuf et un âne, leur différence anatomique viendrait faire obstacle à leur collaboration. On ne peut pas tisser ensemble laine et lin, la diverse nature des fibres, réagissant aux évènements de façon non coordonnée et distordrait la trame. L’adultère et l’inceste, qui faussent les relations, sont proscrits. Au contraire, les frange de nos vêtements, les tsitsiot, sont là pour nous rappeler l’importance de chaque instant de nos vies, de chaque commandement, et nous invitent à ne rien laisser s’immiscer entre nous et notre conscience, entre nous et notre relation à nos vies.

Le début de notre paracha présente trois protagonistes : une femme mariée, un soldat qui est son époux, une captive que le soldat désire. Situation triangulaire dangereuse, dans laquelle chaque protagoniste est en danger. La femme risque l’abandon, la captive risque le viol, le soldat risque le glissement dans l’inacceptable. Qui faut-il protéger ?

Le texte énonce :

« Tu l’emmèneras d’abord dans ta maison; elle se rasera la tête et se coupera les ongles, se dépouillera de son vêtement de captive, demeurera dans ta maison et pleurera son père et sa mère, un mois entier. Alors seulement, tu pourras t’approcher d’elle et avoir commerce avec elle, et elle deviendra ainsi ton épouse.» (Deut. 21 :11,12)

Dans le vide émotionnel et le plein d’adrénaline de la guerre, une femme peut revêtir un attrait dangereux auprès du soldat. Les guerres des hommes s’accompagnent presque toujours du viol des femmes.

En sortant la captive de son état de guerre, la torah la fait entrer dans la quotidien.
Elle redevient un être humain. Elle se dépare de ses atours, et rentre dans ses sentiments réels, les pertes qu’elle a subies, il faut lui permettre de procéder au travail de deuil. Elle n’est plus captive.

La guerre finie, l’attente permet au soldat de redevenir un être humain, il peut se défaire du charme malsain qui le fascinait. Il n’est plus captif.

L’épouse, pour sa part, est dans son élément, et a tous les atouts en main pour que son mari la retrouve. Elle retrouve sa lumière.

La trame malsaine est détricotée. La solitude, l’adrénaline, le flirt avec la mort sont repoussés.

Le chabbat nous sort de captivité, qui extirpe de situations de stress, de solitude, de renoncement.

Comme le dit LéHa Dodi « cela fait trop longtemps que tu es installée dans la vallée des larmes, réveille-toi de ton cauchemar et chante, revêts-toi de tes vêtements de splendeur, et deviens un refuge pour ceux qui sont dans la détresse. » (citation libre)  Comme le commande la deuxième version des 10 commandements : « Le septième jour est la trêve de l’Éternel, ton Dieu: tu n’y feras aucun travail, toi, ton fils ni ta fille, ton esclave mâle ou femelle, ton bœuf, ton âne, ni tes autres bêtes, non plus que l’étranger qui est dans tes murs; car ton serviteur et ta servante doivent se reposer comme toi. » (Deut. VaétHanan 5 :12)

Une fois encore, la liberté des uns commence là où commence celle des autres…

Chabbat Chalom.

Vayikra live… Chercher sans cesse le chemin de droiture

Je vous propose une version écrite de notre commentaire de ce vendredi soir…

Vayikra. « Et il appela ».

L’hébreu a cette particularité d’insister infiniment sur la valeur de l’étude. Mais cette étude du « peuple du livre » est centrée autour d’une lecture d’un genre bien particulier. Lire en hébreu, en effet, se dit exactement comme appeler, de la racine  ק ר א   , la même exactement que dans le mot Vayikra. Une lecture qui ne serait pas un appel ne serait pas une étude au sens juif. L’étude est là pour nous appeler, pour nous interpeller.

Quel message puissant dans ce petit mot… Le thème récurent du livre de Vayikra est celui du service des prêtres au temple. Est-il pour autant central? Vayikra, dans son chapitre 19, est le livre de la morale juive, le livre de « tu aimeras ton prochain comme toi-même » et de nombreuses et belles autres lois de ce type. La phrase exacte est pourtant:  » Ne te venge ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple, mais aime ton prochain comme toi-même: je suis l’Éternel. » (Lev. 19:18) L’amour abstrait, les grands mots, sont faciles à prononcer, mais bien plus durs à mettre en œuvre. Ce livre vient nous enseigner que les lois morales sont intrinsèquement liées à nos pratiques de vie.

Vayikra exige de nous que nous définissions ce qui nous appelle, ce qui nous interpelle, ce qui nous met en mouvement, ce qui fait le cœur de notre responsabilité, ce que nous voulons protéger et construire.

Cette semaine, on a présenté dans la presse l’inauguration d’une synagogue de la vielle ville de Jérusalem comme une façon de mettre en péril la grande mosquée située sur le mont du temple. Il s’agit en réalité d’une ancienne synagogue du 17iem siècle, détruite par les jordaniens. Il s’agit donc en réalité de la réparation d’une atteinte contre le patrimoine culturel et religieux juif, et non d’une mise en péril d’un lieu de culte musulman. Pourtant, une présentation erronée des faits a donné lieu à des violences désespérantes.

Accuser celui qui construit ou qui répare de vouloir détruire constitue une stratégie pernicieuse. Par son existence même, l’autre est une menace, ce qui justifierait de le détruire. C’est l’arme des faibles, pour qui l’existence d’autrui est une menace, ou celle des dictateurs, qui ne peuvent supporter la contradiction.

Notre tradition nous invite à une force et une confiance, dont Hillel reste emblématique. C’est la force de la confiance, celle qui me permet d’exister pacifiquement avec mon prochain. Ainsi que nous venons de le chanter si magnifiquement dans « léHa dodi », כי בא אורך קומי אורי   , « car ta lumière vient, ma lumière monte ». C’est ce qu’en langage moderne on appelle le « win/win ».

Pour avancer, il faut regarder vers l’avenir, développer la vision de notre projet, sans craindre les autres projets, et en souhaitant la réussite de tous. Le partenariat exige de nous de travailler ensemble sur le tronc commun qui nous unit, et de travailler parallèlement pour ce qui nous sépare.

C’est le respect du pluralisme, le droit de chacun à exister en tant que lui-même.

Nous citions ce magnifique midrach qui donne les détails du déroulement de l’ouverture de la mer, lorsqu’elle dut s’ouvrir pour laisser passer les hébreux, en fuite et assaillis de toute part. La mer ne s’est pas simplement ouverte, non, d’ailleurs il aurait été beaucoup trop dur pour les hébreux de descendre jusque dans le lit de la mer et d’en remonter. Pour ce midrach, en réalité, 12 couloirs se sont ouverts dans la mer, un par tribut, chaque tribut ayant son chemin propre. 12 couloirs transparents cependant, de telle sorte que, tout en traversant dans des chemins différents, ils puissent voir leurs frères et progresser au même rythme qu’eux.

Ce chemin du pluralisme, les sages l’encouragent, à toutes les époques.

Rabban YoHanan Ben Zakaï est ce sage du premier siècle, témoin de la destruction du temple, de l’écroulement de ce qui faisait l’essence et l’unité du peuple juif. Il n’a pas désespéré. Il n’a pas exigé l’impossible. Il a décidé de créer un autre possible pour la continuité du peuple juif. Il n’a pas pu demander à Vespasien de sauver Jérusalem, mais il a demandé la liberté de poursuivre son enseignement à Yavné. De là, le judaïsme a pu renaitre jusqu’à aujourd’hui.

On enseigne dans le deuxième chapitre des pirké avot que Rabban YoHanan Ben Zakaï avait5 élèves… et qu’il chantait leurs louanges… chacun avait sa personnalité et était respecté pour ce qu’il était. Ces cinq élèves sont-ils les précurseurs des quatre enfants de la hagada de PessaH ? Leur maître les interrogeait :

« Sortez et voyez quel est le bon chemin auquel l’homme doit attacher ses pas »

צאו וראו איזוהי דרך ישרה שידבק בה האדם

La posture que ce maître propose à ses étudiants est celle du sociologue : « sortez et voyez », tséou ouréou.

Cette formule sera reprise au tout début du 17iem siècle pour nommer le tséna ourééna, premier ouvrage rédigé en Yiddish, s’adressant aux femmes désireuses d’étudier et dont le titre est la formulation féminine du tséou ouréou.

Il faut commencer par observer. Se poser les bonnes questions. La question centrale du judaïsme est celle-ci : Quel est notre idéal de conduite ? Quelle est la qualité, qui, à nos yeux, à le plus de valeur ? Tel est l’inventaire que dressent les élèves de Rabban YoHanan Ben Zakaï. Nous sommes sans cesse invités à nous re-poser la question.

Et comme la question est essentielle, prenons le temps d’y réfléchir avant de chercher une réponse toute faite, cherchons notre réponse personnels, et restons prêts à la remettre en cause.

Ainsi, nous serons toujours appelés par nos valeurs, interpellés, prêts à construire un chemin nouveau, alliant la nouveauté et la continuité, à porter un judaïsme pertinent aux générations à venir…

Chabbat Chalom/ Chavoua Tov